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L'inhumanité

L'inhumanité

L'inhumanité

Mutter mit zwei Kindern par Egon Schiele via Wikimedia Commons

Je croyais avoir éprouvé par avance tout ce qui pourrait arriver d'épouvantable si Hitler réalisait son rêve de haine et occupait en triomphateur la ville de Vienne qui l'avait repoussé jeune homme pauvre et sans succès. Mais comme mon imagination, comme toute imagination humaine, se révéla hésitante, étroite, pitoyable au regard de l'inhumanité qui se déchaîna ce 13 mars 1938, jour où l'Autriche, et avec elle toute l'Europe, fut livrée en proie à la violence nue  ! Maintenant le masque tombait.
Les autres Etats ayant ouvertement montré leur crainte, la brutalité n'avait plus à s'imposer aucune retenue morale, elle n'usait plus – que comptaient l'Angleterre, la France, que comptait le monde  ? - du prétexte des « marxistes » qu'il fallait éliminer politiquement. Maintenant, on ne se bornait pas à piller et à voler mais on laissait libre cours à tous les désirs de vengeance privée.
Des professeurs d'université étaient forcés de frotter de leurs mains nues le pavé des rues, de pieux vieillards juifs étaient traînés au temple et contraints par de jeunes braillards à faire des génuflexions et à crier en choeur  : « Heil Hilter  ! ». Dans les rues, on attrapait comme des lièvres quantité d'innocents qu'on mettait à curer les lieux d'aisance dans les casernes des SA.
Tout ce qu'une imagination d'une saleté morbide avait inventé au cours de nombreuses nuits dans une orgie de haine se déchaînait au grand jour. Qu'ils fissent irruption dans les appartements et arrachassent les boucles d'oreilles à des femmes tremblantes – de tels excès avaient pu se produire il y a des siècles dans les guerres du Moyen-âge, à l'occasion des pillages des villes  ; ce qui était nouveau, c'était le plaisir éhonté de tourmenter en public, de martyriser les âmes, d'infliger des humiliations raffinées. Tout cela a été attesté non pas par un témoin isolé mais par des milliers de personnes qui ont subi ces traitements, et une époque plus tranquille, qui ne sera pas comme la nôtre accablée de lassitude morale, lira avec un frisson d'horreur les crimes perpétrés au XXe siècle dans cette ville de culture par un seul homme enragé de haine.
Car c'est là le triomphe le plus diabolique d'Hitler au milieu de ses victoires militaires et politiques  : cet homme à lui seul a réussi, par une constante surenchère, à émousser toute notion du droit. Avant cet « ordre nouveau », le meurtre d'un seul homme, sans la sentence d'un tribunal et sans raison apparente, bouleversait le monde, la torture était jugée inconcevable, au XXe siècle, on appelait encore clairement les expropriations vol et rapine. Mais maintenant, après toutes les nuits de la Saint-Barthélémy qui se suivent sans interruption, après les tortures infligées journellement dans les cellules des SA et derrière les fils de fer barbelés, que comptent encore une injustice isolée et la souffrance terrestre  ?
En 1938, après les événements d'Autriche, notre monde s'était déjà accoutumé à l'inhumanité, à l'injustice et à la brutalité comme il ne l'avait fait auparavant pendant des centaines d'années. Tandis qu'autrefois ce qui s'est produit dans cette malheureuse ville de Vienne aurait suffi à mettre les criminels au ban de l'humanité, la conscience universelle se tut, en cette année 1938, ou se bornant à murmurer un peu, avant d'oublier et de pardonner.