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Retour en Autriche

Retour en Autriche

Retour en Autriche

Trauernde Frau par Egon Schiele via Wikimedia Commons

Le plus étrange est qu'avec la meilleure volonté du monde je ne parviens plus à me rappeler aujourd'hui la manière dont nous avions gouverné notre maison au cours des années, ni en fait où chacun pouvait se procurer en Autriche, jour après jour, les milliers et les dizaines de milliers de couronnes, et plus tard, en Allemagne, les millions que l'on dépensait quotidiennement pour vivre tant bien que mal. Mais le mystère, c'est qu'on les avait.
On s'accoutumait, on s'habituait au chaos. Logiquement, un étranger qui n'a pas vécu cette époque doit s'imaginer que dans un temps où un oeuf coûtait en Autriche autant qu'une voiture de luxe avant la guerre et, plus tard en Allemagne, quatre milliards - ce qui aurait à peu près représenté, autrefois, la valeur de toutes les maisons du grand Berlin -, les femmes échevelées couraient comme folles par les rues, que les magasins étaient déserts, ne pouvait plus rien acheter et qu'avant tout les théâtres et les lieux de plaisir étaient vides. Mais de façon surprenante, c'était exactement le contraire qui se produisait.
La volonté d'assurer la continuité de la vie était plus forte que l'instabilité de la monnaie. En plein chaos financier, la vie quotidienne se poursuivait presque sans trouble. Les situations individuelles se modifiaient profondément, les riches s'appauvrissaient, parce que l'argent de leurs comptes en banque ou placé en fond d'état fondait. Mais le volant continuait à tourner sur le même rythme, sans se soucier du sort des particuliers, rien ne s'arrêtait : le boulanger faisait cuire son pain, le cordonnier confectionnait ses bottes, l'écrivain composait ses livres, le paysan cultivait la terre, les trains circulaient régulièrement, chaque matin, le journal était déposé devant la porte à l'heure habituelle, et les lieux de divertissement, les bars, les théâtres étaient bondés. Justement par le fait imprévu que la valeur la plus stable, l'argent, se dépréciait tous les jours, les hommes en venaient à estimer d'autant plus les vraies valeurs de la vie - le travail, l'amour, l'amitié, l'art et la nature - et tout le peuple vivait en pleine catastrophe avec plus d'intensité que jamais.
Garçons et filles s'en allaient dans les montagnes et revenaient brunis par le soleil, les bals publics faisaient entendre leur musique jusqu'à une heure avancée de la nuit, partout on fondait de nouvelles maisons de commerce, de nouvelles fabriques. Moi-même, je ne crois pas guère avoir jamais vécu et travaillé plus intensément qu'au cours de ces années. Ce qui avant la guerre nous avait paru important devenait plus important encore ; jamais en Autriche, nous avons aimé l'art davantage que durant ces années de chaos, car, voyant que l'argent nous trahissait, nous sentions bien que seul ce qu'il y avait en nous d'éternel était véritablement constant.