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Il y a vingt ans

Il y a vingt ans

L'éléphant de la Bastille à partir d'une illistration de G. Brion via Wikimedia Commons

Il y a vingt ans, on voyait encore dans l’angle sud-est de la place de la Bastille, près de la gare du canal creusée dans l’ancien fossé de la prison-citadelle, un monument bizarre qui s’est effacé déjà de la mémoire des Parisiens, et qui méritait d’y laisser quelque trace, car c’était une pensée du "membre de l’Institut, général en chef de l’armée d’Égypte". Nous disons monument, quoique ce ne fût qu’une maquette.
Mais cette maquette elle-même, ébauche prodigieuse, cadavre grandiose d’une idée de Napoléon que deux ou trois coups de vent successifs avaient emportée et jetée à chaque fois plus loin de nous, était devenue historique, et avait pris je ne sais quoi de définitif qui contrastait avec son aspect provisoire.
C’était un éléphant de quarante pieds de haut, construit en charpente et en maçonnerie, portant sur son dos sa tour qui ressemblait à une maison, jadis peint en vert par un badigeonneur quelconque, maintenant peint en noir par le ciel, la pluie et le temps. Dans cet angle désert et découvert de la place, le large front du colosse, sa trompe, ses défenses, sa tour, sa croupe énorme, ses quatre pieds pareils à des colonnes faisaient, la nuit, sur le ciel étoilé, une silhouette surprenante et terrible.
On ne savait ce que cela voulait dire. C’était une sorte de symbole de la force populaire. C’était sombre, énigmatique et immense. C’était on ne sait quel fantôme puissant, visible et debout à côté du spectre invisible de la Bastille. Peu d’étrangers visitaient cet édifice, aucun passant ne le regardait. Il tombait en ruine ; à chaque saison, des plâtras qui se détachaient de ses flancs lui faisaient des plaies hideuses.
Les "édiles", comme on dit en patois élégant, l’avaient oublié depuis 1814. Il était là dans son coin, morne, malade, croulant, entouré d’une palissade pourrie souillée à chaque instant par des cochers ivres ; des crevasses lui lézardaient le ventre, une latte lui sortait de la queue, les hautes herbes lui poussaient entre les jambes ; et comme le niveau de la place s’élevait depuis trente ans tout autour par ce mouvement lent et continu qui exhausse insensiblement le sol des grandes villes, il était dans un creux et il semblait que la terre s’enfonçât sous lui.
Il était immonde, méprisé, repoussant et superbe, laid aux yeux du bourgeois, mélancolique aux yeux du penseur. Il avait quelque chose d’une ordure qu’on va balayer et quelque chose d’une majesté qu’on va décapiter.