La société MEDIAlibri, éditrice de GlobeKid, ayant malheureusement dû cesser ses activités, le site web de GlobeKid n'est plus mis à jour et ses fonctionnalités de création de livres, de personnalisation des livres créés par l'équipe GlobeKid, ainsi que de téléchargement des livres au format PDF et Ebook et de commande des livres imprimés reliés, sont désactivées.

Vous pouvez cependant encore accéder librement aux contenus des livres pendant quelque temps et nous contacter pour toute question par email contact@globekid.com.

Une de mes visites

Une de mes visites

par Sidney Paget via Wikimedia Commons

Une de mes visites s’étant prolongée plus que je ne pensais, il était un peu plus de six heures et demie quand je me retrouvai dans Baker Street. Comme j’approchais de la maison, je vis, éclairé par la lumière qui tombait de la fenêtre en éventail placée au-dessus de la porte, un homme de haute taille, qui portait une toque écossaise et qui attendait, son pardessus boutonné jusqu’au menton. La porte s’ouvrit comme j’arrivais et nous entrâmes ensemble dans le bureau de mon ami.
– Monsieur Henry Baker, je présume ? dit Sherlock Holmes, quittant son fauteuil et saluant son visiteur avec cet air aimable qu’il lui était si facile de prendre. Asseyez-vous près du feu, monsieur Baker, je vous en prie ! La soirée est froide et je remarque que votre circulation sanguine s’accommode mieux de l’été que de l’hiver. Bonsoir, Watson ! Vous arrivez juste. Ce chapeau vous appartient, monsieur Baker ?
– Sans aucun doute, monsieur !
L’homme était solidement bâti, avec des épaules rondes et un cou puissant. Il avait le visage large et intelligent. Sa barbe, taillée en pointe, grisonnait. Une touche de rouge sur le nez et les pommettes ainsi qu’un léger tremblement des mains semblaient justifier les hypothèses de Holmes quant à ses habitudes. Il avait gardé relevé le col de son pardessus élimé et ses maigres poignets sortaient des manches. Il ne portait pas de manchettes et rien ne prouvait qu’il eût une chemise. II parlait d’une voix basse et saccadée, choisissait ses mots avec soin et donnait l’impression d’un homme instruit, et même cultivé, que le sort avait passablement maltraité.
– Ce chapeau et cette oie, dit Holmes, nous les avons conservés pendant quelques jours, parce que nous pensions qu’une petite annonce finirait par nous donner votre adresse. Je me demande pourquoi vous n’avez pas fait paraître quelques lignes dans les journaux.
Le visiteur rit d’un air embarrassé.
– Je vois maintenant bien moins de shillings que je n’en ai vu autrefois, expliqua-t-il. Comme j’étais convaincu que les voyous qui m’avaient attaqué avaient emporté et le chapeau et l’oie, je me suis dit qu’il était inutile de gâcher de l’argent dans l’espoir de les récupérer.
– C’est bien naturel ! A propos de l’oie, je dois vous dire que nous nous sommes vus dans l’obligation de la manger.
– De la manger ! L’homme avait sursauté, presque à quitter son fauteuil.
– Oui, reprit Holmes. Si nous ne l’avions fait, elle n’aurait été d’aucune utilité à personne. Mais je veux croire que l’oie que vous voyez sur cette table remplacera la vôtre avantageusement : elle est à peu près du même poids... et elle est fraîche !
Baker poussa un soupir de satisfaction.
– Évidemment !
– Bien entendu, poursuivit Holmes, nous avons toujours les plumes, les pattes et le gésier, et si vous les voulez...
L’homme éclata d’un rire sincère.
– Je pourrais les conserver en souvenir de cette aventure, s’écria-t-il, mais, pour le surplus, ces disjecta membra ne me serviraient de rien. Avec votre permission, je préfère m’en tenir au substitut que vous voulez bien me proposer, lequel me semble fort sympathique.
Sherlock Holmes me jeta un regard lourd de sens et eut un imperceptible haussement des épaules.
– Dans ce cas, monsieur, dit-il, voici votre chapeau et voici votre oie ! À propos de l’autre, celle que nous avons mangée, serait-il indiscret de vous demander où vous vous l’étiez procurée ? Je suis assez amateur de volaille et j’avoue avoir rarement rencontré une oie aussi grassement à point.
– Il n’y a aucune indiscrétion, répondit Baker, qui s’était levé et qui, son oie sous le bras, s’apprêtait à se retirer. Nous sommes quelques camarades qui fréquentons l'Alpha Inn, un petit café qui est tout près du British Museum, où nous travaillons. Cette année, le patron, un certain Windigate, un brave homme, avait créé ce qu’il appelait un « club de Noël » : chacun de nous payait quelques pence par semaine, et à Noël, se voyait offrir une oie par Windigate. J’ai versé ma cotisation avec régularité, le cafetier a tenu parole... et vous connaissez la suite. Je vous suis, monsieur, très reconnaissant de ce que vous avez fait, d’autant plus qu’une toque écossaise ne convient ni à mon âge, ni à mon allure.
Ayant dit, notre visiteur s’inclina cérémonieusement devant nous et se retira avec une dignité fort comique.