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La défiance envers la jeunesse

La défiance envers la jeunesse

La défiance envers la jeunesse

Rückenansicht zweier Knaben par Egon Schiele via Wikimedia Commons

Il serait erroné de croire que ce déplaisir que je prenais à l'école m'était personnel. Je ne puis me souvenir d'aucun de mes camarades qui n'eût senti avec répugnance que dans ce bagne le meilleur de nos curiosités et de nos intentions n'étaient entravées, réprimées, étouffées par l'ennui. Mais c'est seulement beaucoup plus tard que je pris conscience que cette méthode d'éducation sans amour et sans âme n'était pas imputable, par exemple, à la négligence des pouvoirs publics mais qu'il s'y exprimait plutôt une intention déterminée, encore que soigneusement dissimulée.
Réglant tous ses modes de pensée sur le seul fétiche de la sécurité, le monde qui nous a précédés, et alors qui nous dominait, n'aimait pas la jeunesse ou, plus encore, nourrissait à son égard une perpétuelle défiance. Fière de son « progrès » systématique, de son ordre, la société bourgeoise proclamait que la modération et la tranquillité étaient les seules vertus humaines efficaces  ; il fallait éviter tout hâte à nous pousser de l'avant.
L' Autriche était un vieil empire régi par un vieillard, gouverné par de vieux ministres, un Etat qui, sans ambition, espérait uniquement se maintenir intact dans l'ordre européen en se défendant de tout changement radical  ; les jeunes gens, puisque d'instinct ils souhaitent toujours des transformations rapides et radicales, passaient pour un élément suspect qu'il fallait maintenir le plus longtemps possible à l'écart et dans une position subalterne.
Ainsi l'on n'avait point de raison de nous rendre agréable nos années d'école  ; nous devions mériter d'abord du fait de ce freinage permanent par une attente patiente les divers âges de la vie qui prenaient une toute autre valeur qu'aujourd'hui. Un lycéen de 18 ans était traité comme un enfant, on le punissait quand il était surpris une cigarette aux lèvres  ; il devait lever docilement la main s'il voulait quitter son banc pour satisfaire un besoin naturel  ; et on considérait un homme de trente ans comme un être incapable de voler de ses propres ailes  ; même un quadragénaire n'était pas jugé assez mûr pour un poste comportant des responsabilités.
Quand un jour, il se produisit un exception inouïe et qu' à trente-huit Gustav Malher fut nommé directeur de l'Opéra impérial, un murmure d'étonnement et d'effroi parcourut tout Vienne  : comment pouvait-on confier à un "si jeune homme" la première institution artistique de la ville  ? (On oubliait que Mozart avait accompli l'oeuvre de sa vie à 36 ans et Schubert à trente et un).
Cette défiance reposant sur l'idée que l'on ne pouvait jamais « se fier tout à fait à la jeunesse » se rencontrer dans tous les milieux. Mon père n'aurait jamais embauché un jeune homme dans son entreprise  ; et qui, par malchance, avait conservé une apparence particulièrement juvénile avait partout à surmonter la méfiance. Ainsi produisait ce qui aujourd'hui serait presque incompréhensible  : la jeunesse devenait une entrave dans toutes les carrières et seul un âge avancé constituait un avantage. Tandis que de nos jours, dans notre monde complètement changé, les quadragénaires font tout pour ressembler aux hommes de trente ans, et les sexuagénaires à ceux de quarante, tandis que la juvénilité, l'énergie, l'activité, la confiance en soi favorisent et recommandent un être, dans cet âge de la sécurité, quiconque voulait s'élever était obligé de recourir à tous les déguisements possibles pour paraître plus vieux qu'il ne l'était.
Les journaux vantaient des produits pour hâter la croissance de la barbe, de jeunes médecins de vingt-cinq ou trente ans qui venaient de passer leur examen portaient des barbes majestueuses et chargeaient leur nez de lunettes à monture d'or même s'ils n'en avaient nul besoin, à seule fin de donner à leurs patients l'impression qu'ils avait de "l'expérience".
On s'imposait le port de la longue redingote noire, une démarche grave et, si possible, un léger embonpoint, afin d'incarner cette maturité si souhaitable  ; et qui avait de l'ambition s'efforçait de donner congé, au moins dans son apparence extérieure, à cette jeunesse suspecte de légèreté  ; au cours de notre sixième ou septième année d'études, déjà, nous nous refusions à porter des cartables d'écolier, afin de plus être reconnus pour des lycéens, et nous les remplacions par des serviettes.
Tout ce qui aujourd'hui nous paraît pour des qualités enviables, la fraîcheur, le sentiment de sa valeur, l'audace, la curiosité, la joie de vivre de la jeunesse, passait pour suspect dans ce temps qui n'appréciait que le "solide".