En coupant par la clairière

Léopold et Corinne

Léopold et Corinne suivaient à quelque cinquante pas. La conversation s'était d'abord déroulée sur le modèle habituel, c'est à dire que Corinne avait parlé. Mais Léopold était fermement décidé à prendre, lui aussi, la parole, coûte que coûte. Il avait passé les derniers jours comme avec un poids douloureux ; mais le projet qu'il avait en tête ne l'effrayait plus autant qu'autrefois ; - il fallait bien qu'il retrouvât son équilibre.
Plusieurs fois déjà il avait été tout prêt de poser au moins une question qui dirigeât la conversation vers le but qu'il poursuivait ; mais, quand il apercevait la stature imposante de sa mère qui marchait devant lui, il y renonçait aussitôt, de sorte qu'il finit par proposer de couper en biais à travers une clairière qui s'offrait à eux, pour que, au lieu de suivre toujours les autres ils prennent une fois, eux aussi, la tête de la colonne.
Certes, il savait qu'à la suite de cette manœuvre il aurait le regard de sa mère dans le dos ou sur le côté ; mais, un peu comme l'autruche, il trouvait une sorte de réconfort dans le sentiment qu'il n'aurait plus en permanence devant les yeux le spectacle de cette maman qui toujours paralysait ses forces. Il ne parvenait pas à s'expliquer entièrement cet état de ses nerfs et finit par se décider pour ce qui lui sembla être de deux maux le moindre. En passant par le raccourci qui s'offrait à eux, ils se trouvèrent bientôt les premiers, avec autant d'avance qu'ils avaient eu précédemment de retard.